Mais l’agriculture biologique peut-elle nourrir le monde entier?

La culture et la consommation d’aliments biologiques gagnent en popularité (bonne nouvelle!), mais leurs détracteurs aiment ridiculiser l’agriculture biologique (et hausser le ton à mesure que le bio gagne du terrain). Bien sûr, disent-ils, manger bio est un choix que peuvent se permettre les gens riches et privilégiés, mais, à long terme, l’agriculture biologique est peu pratique et inefficace, surtout si on envisage de nourrir une population mondiale en expansion.

Pourtant, il suffit de consulter les preuves scientifiques disponibles pour se rendre compte que les établissements agricoles biologiques ont souvent un rendement égal ou supérieur à celui des fermes conventionnelles et que non seulement l’agriculture biologique PEUT nourrir le monde, mais elle est plus résiliente que l’actuel système, fondé sur le pétrole.

Cassons d’abord le mythe qui dit que si la faim existe dans le monde, c’est que nous ne produisons pas assez de nourriture. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), nous produisons déjà suffisamment de nourriture pour nourrir tous les habitants de la planète ainsi que tous les enfants à naître d’ici 2030, à tout le moins. Et pourtant, la faim touche des millions de personnes dans le monde. De toute évidence, la faim n’est pas directement liée aux réserves alimentaires. Elle est plutôt tributaire des systèmes économique et de distribution alimentaire. Il existe de nombreuses solutions au problème de la faim, mais produire davantage de nourriture n’en fait pas partie.

 

Les fermes biologiques n’ont-elles pas un rendement inférieur?

Depuis plus ou moins 50 ans, l’agriculture industrielle a beaucoup augmenté le rendement des cultures à grande échelle de produits de base (comme les céréales). Pour effectuer cette révolution verte, on a cultivé des plantes très uniformes, capables de pousser très près les unes des autres et de profiter des engrais synthétiques (fabriqués à partir de pétrole ou additionnés de pétrole), à condition de recevoir de généreuses quantités de pesticides synthétiques (également à base de pétrole) pour lutter contre les insectes et les maladies qui deviennent d’énormes problèmes lorsque le même cultivar de la même espèce recouvre des centaines, voire des milliers de kilomètres carrés. Malheureusement, ce système n’est pas durable à long terme, et le producteur agricole se voit souvent contraint de suivre un programme dicté par la société chimique et, parfois, de s’endetter au point de ne plus pouvoir arrêter. Chaque année, il doit acheter de nouvelles semences, de même que les engrais et les pesticides synthétiques sans lesquels il risque de voir les rendements chuter ou la récolte échouer complètement, tandis que son emprunt arrive à échéance. Certes, l’agriculture conventionnelle produit des rendements élevés, mais seulement dans la mesure où on achète et applique de grandes quantités d’intrants synthétiques au moment prescrit… et si la météo est favorable… et si aucun nouveau parasite ou maladie résistante n’apparaît.

L’agriculture biologique, par contre, repose sur des engrais produits naturellement, la rotation des cultures, la culture mécanique, le paillage, les cultures de protection et un plus large éventail de cultures sur chaque ferme, de sorte que les insectes et les maladies risquent moins de proliférer (et de détruire toute la récolte s’ils attaquent). C’est ce qui rend les établissements biologiques plus autonomes (durables), plus résilients et moins susceptibles de subir des récoltes catastrophiques par suite de conditions météorologiques extrêmement défavorables ou de l’apparition de nouveaux ravageurs ou maladies. L’agriculture biologique est certes plus compliquée que le simple fait d’obtenir un prêt, d’acheter les engrais et pesticides synthétiques recommandés, puis de suivre le calendrier dicté. Mais ce n’est pas sorcier. Il suffit d’employer une autre gamme d’outils et de techniques, de plus en plus variés et efficaces, d’ailleurs, puisque les fonds de recherche consacrés à l’étude des méthodes biologiques ne cessent d’augmenter.

Selon l’Institut Rodale, qui mène des études comparatives de l’agriculture biologique et des méthodes conventionnelles chaque année depuis 1981, les champs de céréales biologiques qu’on y cultive ont un rendement moyen presque aussi élevé que celui des champs conventionnels et, les années de sécheresse, le rendement des cultures biologiques est nettement supérieur. Les études montrent en outre que les coûts d’exploitation sont sensiblement les mêmes (l’argent est simplement destiné à des usages différents : épandre du paillis ou cultiver des espèces qui éliminent les mauvaises herbes au lieu de pulvériser des herbicides, planter et gérer des cultures d’engrais vert au lieu d’acheter et d’épandre des engrais synthétiques). D’autres études révèlent des rendements moins optimistes, mais il n’en reste pas moins que les moyennes générales tirées de solides études comparatives de longue durée portent à croire que les établissements biologiques produisent au moins 80 % à 100 % du rendement des établissements conventionnels.

Fait intéressant, cet écart de rendement, lorsqu’il existe, se révèle le plus souvent dans les études sur les pays développés : les études menées dans les pays pauvres montrent que l’écart de rendement disparaît ou même s’inverse, les fermes biologiques produisant souvent davantage que les conventionnelles.

En outre, les établissements biologiques, en particulier les petites fermes familiales, ont tendance à cultiver divers produits dans un même espace. Un agriculteur biologique peut par exemple cultiver des céréales entre des rangs de noyers, ce qui donne un rendement à l’hectare moins élevé pour les céréales. Cependant, lorsque les noyers commencent à produire, l’agriculteur récolte les noix et les céréales sur la même superficie de terre, sans compter le bois qu’il récupérera au bout du compte.

Les fermes biologiques peuvent-elles obtenir suffisamment assez d’engrais azoté naturel?

Oui, bien sûr, et même sans fumier. Il faut juste du temps et un peu de planification. Pourtant, près de deux tiers des terres agricoles sont actuellement engraissées au moyen de composés azotés synthétiques, fabriqués à partir de pétrole ou additionnés de pétrole. Le personnel de vente des sociétés agrochimiques (et les agents de vulgarisation qui obtiennent des conseils auprès de ces sociétés) tentera de vous convaincre qu’il est impossible d’obtenir de bons rendements sans engrais azotés synthétiques, mais l’Institut Rodale a montré que les cultures de protection à base de légumineuses peuvent tirer suffisamment d’azote de l’atmosphère pour répondre aux besoins de la culture suivante. Dans le cadre d’une étude, les chercheurs de l’institut ont montré qu’une culture de protection hivernale de trèfle violet dans un champ où étaient cultivés en rotation de l’avoine et du blé, du maïs et du soja ajoutait assez d’azote supplémentaire pour assurer un bon rendement de blé et de maïs. Sous des climats plus secs ou tropicaux, d’autres légumineuses peuvent remplacer le trèfle violet. En plus de tirer gratuitement l’azote de l’atmosphère, la culture de protection à base de légumineuses, utilisée à répétition, accroît la concentration de matières organiques dans le sol (ce qui renforce la santé du sol et sa résistance à la sécheresse, en plus de capter le dioxyde de carbone de l’atmosphère), limite l’érosion du sol et peut même aider à réduire les populations de mauvaises herbes.

Alors, la prochaine qu’on vous dit « l’agriculture biologique ne peut nourrir la planète », vous pouvez répondre en toute confiance que oui, elle le peut, et beaucoup plus longtemps qu’une agriculture aussi dépendante du pétrole que la nôtre.

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